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Laurent Petit fait de la psychanalyse urbaine, une science loufoque qu’il a inventée et est le seul à pratiquer. Il débarque dans un territoire pour en explorer l’inconscient enfoui. Démonstration avec la Camargue.
Par Audrey Cerdan
Laurent Petit dans un bar à Paris - Audrey Cerdan/Rue89
Quand Laurent Petit repart vers un nouveau territoire à psychanalyser, une carte de la Belgique dans le dos comme un carquois et tirant une valise débordant de fringues, on le regarde émerveillé ou circonspect.
Volubile et passionnant, cet ancien ingénieur reconverti dans le théâtre de rue n’a pas eu besoin de mettre sa blouse de l’Agence nationale de psychanalyse urbaine (ANPU) pour ressembler à un savant fou.
Pendant deux heures, on l’a écouté raconter la Camargue, son « auto-mythologisation », ses touristes « krypto-nazes », ses conflits enkystés et sa forme vaginale. Parfois, on l’interrompait. « Mais ça, c’est vrai ? » Oui, a-t-il invariablement répondu. L’ANPU, qu’il anime avec l’urbaniste Charles Altorffer, n’invente jamais rien. Ensuite, c’est une histoire d’interprétation. Poétique, absurde, visionnaire peut-être.
Après avoir établi son diagnostic à la demande d’une collectivité locale, il présente ses conclusions en public, lors d’un one-man show truffé de jeux de mots et de références libidineuses. La salle se marre, tout en redécouvrant son territoire. Voici les conclusions de Petit et Altorffer après leur psychanalyse de la Camargue en 2013, ainsi que la « solution » présentée aux habitants de la région.
Les experts de l’ANPU en plein boulot - Fonds ANPU
« C’est un projet de territoire rocambolesque et finalement très réussi », explique Laurent Petit. « Mais il est aujourd’hui rongé par les mythes et en butte à trop de pressions extérieures et intérieures », ajoute-t-il :
Carte de la Camargue - Fonds ANPU
« Sont-elles si saintes que ça ? Les Saintes-Maries-de-la-Mer font l’autruche, feignant d’ignorer la montée des eaux, pourtant inéluctable. Elles multiplient les digues et, parallèlement, elles se sont ouvertes au tourisme de masse. »
« Voilà une ville nouvelle, constituée de toute pièce par l’industrie du sel au XIXe siècle. A Salin-de-Giraud, on trouve du sel destiné à saler les routes l’hiver, mais très peu de sel alimentaire. Le sel permet aux voitures de continuer à rouler et donc de réchauffer la planète, favorisant ainsi la montée
des eaux et donc la disparition de la ville. C’est une industrie qui s’écroule. Il faut en faire le deuil. »
« Cette zone humide, tampon entre les grands propriétaires au nord et les industriels au sud, est le barycentre du triangle, que l’on nomme point G en mathématiques. La Camargue, c’est un triangle rempli d’eau. Inconsciemment, on pense tout de suite à la sexualité féminine. La zone invite à la pénétration, d’où de grands projets et une forte immigration. »
Le « schéma névro-constructeur » de la Camargue - Fonds ANPU
Laurent Petit et ses équipes ont bien voulu nous livrer le document ci-dessus, essentiel pour comprendre les problèmes de la Camargue, et commenter les concepts-clés.
« En psychanalyse urbaine, le schéma névro?constructeur est un moyen de résumer nos travaux en considérant le territoire comme une personne à part entière. Le “ça”, ce sont les pulsions. Le “moi”, la personnalité. Le “surmoi”, c’est le contrôle culturel.
Sur la Camargue, c’est extrêmement fort. C’est une zone de chamailleries sans précédent, car les pulsions continuent à s’affronter. Il y a des tensions
partout. C’est un drôle de territoire. Je l’adore. »
Photo souvenir prise à Beauduc - Fonds ANPU
« C’est le “surmoi” de la région : pour contrôler cette zone de tension, la Camargue fait appel aux “casques verts”, des organisations environnementales qui essayent de réconcilier l’homme avec la nature et vont créer une zone tampon, l’étang de Vaccarès, entre les grands industriels et les agriculteurs.
C’est intéressant “lacaniquement parlant” : Vaccarès, c’est “va”, et “caresse”, pour calmer le jeu. Le contexte est assez libidineux...
Mais là aussi se crée une zone de tensions, entre les casques verts et les touristes, qui sont de plusieurs sortes : le tourisme vert, celui un peu punk venant des quartiers chauds, celui folklorique et convivial de la plage de Beauduc, et le tourisme des Salin-de-Giraud, bétonnant, insipide, Disneyland. »
Une exploitation salinière - Fonds ANPU
« Il y a une tension qui traverse le “moi” de la Camargue, entre les propriétaires agricoles et les industries salinières. Ils ont reproduit le schéma parental mer/père. Au nord, les grands propriétaires qui ont commencé à cultiver du blé et élever des moutons. Ils ont fait venir des travailleurs immigrés du Gard, d’Ardèche, d’Espagne, d’Italie ou de Grèce... Ça a créé le “melting spot” [sic] camarguais.
Ces agriculteurs ont besoin d’eau douce. Au sud, certains veulent faire du blé avec du sel : les industries salinières se mettent en place et ont besoin d’eau salée. On retrouve le conflit eau douce/eau salée : résurgence du conflit parental. »
Arles au temps des Romains - Fonds ANPU
« La nature profonde de la Camargue, son “ça”, c’est une histoire d’eau salée. Elle est née de la rencontre entre la mer Méditerranée et le Rhône, qui a ramené des alluvions et formé un delta. La mer a essayé de remonter, de passer par en?dessous : c’est le conflit père-mer.
On a endigué le Rhône, ce qui a été douloureux pour la Camargue, qui s’est retrouvée trop salée. On a alors pompé l’eau du Rhône et remettre de l’eau douce dans la Camargue. A cette histoire d’eau salée s’ajoute une nature hostile : marais, moustiques, mistral, soleil de plomb... C’est pas la joie. C’est un “ça” qui nécessitait forcément un “moi” puissant. »
Couverture de « Crin blanc »
« Ce qui fait l’originalité de la Camargue, c’est ce renforcement du moi par tout un processus d’auto?mythologisation. Elle a créé sa propre mythologie avec les Saintes-Maries-de-la-Mer, le “gardian” (le cow-boy local), l’Arlésienne, le symbole de la femme au costume tout fait. L’image d’une nature sauvage est renforcée par le film Crin Blanc, dans les années 70.
Mais tout ça, c’est une construction humaine. Et ça continue à fonctionner puisque la Camargue s’est renforcée. ça a donné un liant à des gens qui avaient du mal à s’entendre. Cette mythologisation a fasciné toute la France, voire le monde entier. C’est un projet de territoire rocambolesque mais finalement très réussi. »
« C’est une région piquée par les mystiques. Et les moustiques, aussi. Il fait le lien entre le “ça” et le “surmoi”, parce qu’il participe au contrôle de la nature et la protège en même temps. C’est le gardien du temple.
En Camargue, ils sont partout. L’intérêt, c’est qu’il est vraiment violent, donc ça protège du tourisme de masse. Il y a beaucoup de gens qui viennent youkaïdi-youkaïda passer des vacances en Camargue et ne reviennent jamais, parce qu’ils se sont fait attaquer par des escadrilles tous les soirs ! Il n’y a plus que des punks à la peau dure qui passent leurs vacances en Camargue. »
Paysage camarguais - Fonds ANPU
« Les casques verts protègent les flamants roses, qui laminent les champs dès que le riz est semé mais que les cultivateurs n’ont pas le droit de tuer. Les propriétaires ont mis des canons, qui explosent toutes les minutes. Au mois de mai, en Camargue, vous vous croyez en pleine guerre du Vietnam.
Ensuite, ils ont mis des stroboscopes car les flamants revenaient. Donc ça fait BOUM ! BOUM ! TCHA TCHA TCHA ! Maintenant, toute la nuit, il y a des stroboscopes, des canons, et des mecs qui tirent au pistolet pour effrayer des flamands, qui viennent quand même.
Ils sont tassés dans des HLM pour flamants roses qu’on est obligé d’inonder régulièrement, sinon ils s’en vont : la réserve naturelle est devenue surnaturelle. »
Projet d’inondation de la Camargue de d’îles artificielles
Ce constat établi, Laurent Petit et Charles Altorffer ont des recommandations pour aider la région :
Projet d’île artificielle - Fonds ANPU
« On peut imaginer des îles flottantes. C’est la ville méditerranéenne par excellence : elle est sur la mer. Chaque bulle sera un quartier. Dans la coque, des logements en forme d’arènes, en hommage à Arles.
Au-dessus, une surface agricole en triangle avec un étang au milieu : chaque île est une petite Camargue. La forme de la Camargue se rapproche fortement du symbole franc-maçonnique.
Quand on a vu ça, on a eu une illumination : elle est le troisième œil qui guide notre société vers l’avenir, avec des projets innovants. »
Comprise entre le Petit Rhône à l’ouest, le golfe de Fos à l’est et la Méditerranée au sud, la Camargue est une terre horizontale soumise aux actions conjuguées du vent, de l’eau et du sel, valorisée depuis l’Antiquité. Elle forme une vaste mosaïque paysagère d’étangs, de marais, de salines, d’exploitations agricoles et d’activités touristiques ou industrielles, traversée par une plage de près de 40 km, vierge de toute construction, des Saintes-Maries-de-la Mer jusqu’à l’embouchure du Rhône. Cette litanie pourrait se prolonger encore sans jamais parvenir à en faire un portrait complet. La Camargue s’avère bien plus complexe que ses images de cartes postales, tant sont étroites les imbrications entre représentations et réalité, paysages naturels et exploités, eau douce et eau salée.
Cette complexité a motivé depuis longtemps la protection de ses richesses écologiques et paysagères, dès 1927 avec la mise en place de la Réserve zoologique et botanique de l’étang de Vaccarès, puis dans les années 1970 avec la création d’un parc naturel régional, ou plus tard en 2012 avec la constitution d’une réserve naturelle nationale pour protéger les marais du Vigueirat. La Camargue reste un espace fragile. Pour maintenir son identité, la préservation de ses espaces naturels et de son patrimoine bâti (mas, bergeries, anciennes manades, cabanes de gardians, phares), l’encadrement des usages de loisirs et l’aide au maintien des activités agricoles traditionnelles restent nécessaires. Avec ses nombreux partenaires (collectivités, associations, fondations, établissements publics), le Conservatoire du littoral s’y emploie sur les 23 000 hectares qu’il protège.
« Une épave de poutre équarrie émerge de la boue sèche. Des rideaux de verne, d’osiers, d’aulnes et de buissons, multipliant leurs plis et des serpentements sans issue, serrent des flaques d’eau grise, des lacs d’eau bleue, des entonnoirs de vase noire, des plaques de boue sèche craquelée et racornie, de minuscules déserts d’un alfa d’ambre et empêchent les approfondissements de l’horizon…
Le fleuve est là ! Il est là ; on le voit à travers un grillage de roseaux et sa largeur est au-dessus des roseaux, dressée comme un mur, portant des îles et un terrible mélange de muscles d’argent. De l’autre côté des roseaux il est seul dans la magique et formidable trouée qu’il a déchirée à travers le ciel, la terre ; loin par-delà sa rive opposée, il a reculé de minuscules collines d’enfant. Ses bras nus sont couchés dans des verveines plus épaisses que la laine des moutons. Ses mains écrasent des écumes qui jaillissent en s’éclairant d’arcs de couleurs. »